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Exposition

Ce côté-ci du miroir

Exposition collective

Autoportraits de femmes à l'ère des selfies

commissaire Dominique Laquerre

Dans les contes et les mythes, les miroirs sont magiques. La suite des Aventures d’Alice au pays des merveilles invite la fillette à explorer l’autre côté du miroir, un monde étrange où tout est inversé et défie le sens commun. Un autre miroir fait naitre l’envie et la jalousie de la reine vieillissante à l’égard de la beauté de Blanche-Neige. Narcisse tombe amoureux de sa propre image réfléchie dans une source et meurt. Quand les grands de ce monde désirent que leur gloire traverse le temps, ils commandent un portrait qui est de l’ordre de la représentation. Bien sûr, l’artiste n’acceptera pas facilement le rôle de miroir magique et préférera avancer en équilibre sur une mince ligne entre vanité et vérité, aussi coupante que la tranche d’un miroir. 

Pourquoi l’art du portrait et de l’autoportrait demeure-t-il pertinent alors que nos visages, si facilement captés par les téléphones et les caméras, se multiplient à l’infini sur la grande toile? Comment l’art du portrait peut-il encore intéresser quand les magazines et la publicité tapissent le monde de visages et de figures comme jamais auparavant? Chacune des neuf artistes de l’exposition répond à ces questions à sa façon et toutes ont pris position dans la réalité qui leur est propre, de ce côté-ci du miroir.

TÉMOIGNER

Avec la surabondance d’images stéréotypées de la femme se profile l’immense pression du conformisme qui affecte la société. La différence est valorisée mais habilement gérée et balisée. Les réseaux sociaux se muent en tribunaux où l’on débat de la valeur des personnes selon le degré de conformité de leur apparence. Les femmes politiciennes, artistes, journalistes et entrepreneures en savent quelque chose.

Cette pression n’est pas récente. Cependant, les nouveaux miroirs magiques sont partout accessibles, ils réagissent au simple effleurement d’un doigt. Ils perpétuent des normes de beauté aussi irréelles qu’irresponsables. Avec l’une ou l’autre des innombrables applications en ligne, on peut lisser sa peau, agrandir ses yeux, gonfler ses lèvres ou ses seins et amincir sa taille en un instant. Ce jeu anodin se transforme en cauchemar pour un grand nombre de jeunes filles et garçons. Nées dans l’ère numérique, Patricia B. Lavoie et Magalie Massey, sont deux artistes particulièrement sensibles à ces enjeux.

Patricia B. Lavoie est graphiste et artiste. Elle connait bien les mécanismes de la publicité et les détourne dans un souci critique et réflexif. Pour son projet Redéfinir les idées, elle a rencontré des femmes par l’intermédiaire de Point de Rue, un organisme de lutte contre l’itinérance à  Trois-Rivières.

Les participantes étaient invitées à expliquer, à leur façon, la signification des mots bonheur, identité ou liberté. En publicité, l’apparence, le style et les mots définissent l’identité. L’artiste a dessiné les visages de ces femmes avec minutie et a reproduit fidèlement leurs paroles mais ces figures de l’ombre sont à peine perceptibles tout comme leur identité socialement invisible.

La série Nomade de la photographe Magalie Massey touche les thèmes existentiels que sont la filiation et la notion de vérité. À la fois documentaires et poétiques, les œuvres de cette série captent des moments de vie apparemment étranges et décalés mais qui sont pourtant bien réels. En photographiant la beauté et la précarité de la vie atypique de sa mère Isabelle Massey, elle-même artiste, Magalie Massey témoigne d’une vision de la féminité qui transcende les époques et les normes. 

 MANIFESTER

La pratique de l’autoportrait puise sa motivation dans les besoins d’introspection et d’expression de l’individu. L’autoportrait révèle de son auteure plus qu’il ne montre en surface. Inlassablement, Linda Vachon dessine, déchire, efface et repeint des figures humaines. Ces multiples visages, proches de l’art brut et de l’expressionnisme, sont l’artiste elle-même, prise dans l’urgence du geste ou répondant aux diktats et aux injustices de la société. Ses œuvres, aux yeux et aux bouches démesurées, en appellent à l’éveil des sens et à la prise de parole.

Visages en pièces détachées qu’il faut patiemment reconstruire, Tu peux rêver d’Annie St-Jean procède d’une approche totalement différente et non moins puissante. Leur simple existence est le résultat d’un long travail de prise de vue au sténopé, de découpage et d’assemblage in situ. Éphémères et apparemment fragiles, ces autoportraits s’imposent par leur format et laissent deviner, à travers le jeu des symétries, des traits et une volonté de combattante.

ALLER DANS LES BOIS PARLER AUX ANIMAUX

Nous avons croisé Isabelle Massey, une artiste sur la route. Elles sont de plus en plus nombreuses, celles qui vont dans la forêt en quête de leur nature. En ces lieux éloignés ou le bruissement des arbres remplace le bruit électronique, elles trouvent la source d’autres mythes que celui de Narcisse et d’autres magies que la culture actuelle a oubliées. Un corbeau sur son épaule, la femme représentée par Andrée-Anne Laberge ne cherche nullement à séduire. Elle tourne le dos, laissant la part belle à son compagnon aux plumes de jais. Dans l’héritage européen, le corbeau est un mauvais présage. Mais dans l’autre héritage, celui de plusieurs peuples autochtones des Amériques, le corbeau est le créateur de la lumière. Ce portrait suggère qu’une complicité existe entre l’humain et l’animal sauvage puisque leurs destins sont liés.

L’étonnante Robe/Peau de Francine Péloquin évoque un autel miniature où la silhouette d’une femme, faite de peaux de tambours, est suspendue devant un miroir.  Cette sculpture, à la fois animiste et surréaliste, renferme sa propre énigme dans une sorte d’écrin chaud et animal que seul notre regard anime. 

TRAVERSER LE TEMPS

En dirigeant l’attention sur le corps, Francine Péloquin et Pascale Archambault introduisent une toute autre vision du portrait. Dans Aux oiseaux Francine Péloquin imprime son propre corps et l’orne de délicats dessins à la plume. Encore debout, de Pascale Archambault, évoque la statuaire classique mais le corps abimé qu’elle érige, fait de pierre et de métal froissé, est un défi au temps. Ces deux artistes rappellent que le corps enregistre tout ce qui fait une identité et une vie. 

Sylvie Bernard a fouillé l’histoire de son peuple et constaté que la seule trace de l’existence passée d’hommes, de femmes et d’enfants de sa communauté n’était souvent qu’un prénom chrétien inscrit par un prêtre. Dans Les Noms-Dits, l’artiste abénaquise honore la vie et l’âme de soixante femmes inhumées sans nom, entre 1719 et 1850, dans le cimetière de Wôlinak. Pour chacune de ces Marie sans nom, Sylvie Bernard crée une sculpture portable en utilisant des matériaux et des techniques traditionnelles et en s’inspirant des quelques informations qu’elle a pu recueillir dans les Actes de sépulture.

Les artistes de l’exposition amènent, chacune à sa manière, à réfléchir sur la complexité et la diversité de la représentation de la femme aujourd’hui.

 Dominique Laquerre

 

 

Ce projet met en valeur des femmes artistes de la région Centre-du-Québec en arts visuels, en théâtre et en arts médiatiques.

Partenariat : Centre d’art Jacques-et-Michel-Auger et Théâtre Parminou

Réalisé grâce au soutien de la Fondation Jacques & Michel Auger

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